« La pornographie c’est l’érotisme des autres » selon André Breton. À l’ère des images explicites et des punchlines de hip-hop façon « elle a mordu dans l’oreiller comme si c’était un cheesecake » de Nekfeu, le porno a-t-il fini par se faire accepter comme une industrie culturelle ? Réponse avec un article qui colle aux doigts.

Par Mélody Thomas
Visuels Jean-Baptiste Talbourdet

Les chanteurs français ont toujours eu un lien particulier avec l’érotisme, la sensualité – le porno, mais pas trop. La perle du genre : Sexuality de Sébastien Tellier. L’album sorti en 2008 explore avec langueur le corps des femmes sur les plages désertes de Biarritz dans « Roche » ou encore la masturbation dans « Fingers of Steel ». La rumeur veut même que sur « Pomme », on entend les orgasmes de sa propre femme enregistrés durant un de leurs rapports sexuels.
Ce troisième opus venait à la suite d’une quête de vérité entamée avec ses deux premiers albums, L’Incroyable Vérité (2001) et Politics (2004). La raison pour laquelle il consacre un album entier à la libido ? « Le sexe domine tout, tout est sexe » expliquera-t-il aux Inrocks à la sortie de l’album. Cette idée n’est pourtant pas née en 2008. En 1976, Helmut Newton publie Femmes Secrètes , ouvrage de photographie culte dans lequel le terme porno chic est employé pour la première fois : « J’adore la vulgarité, je suis très attiré par le mauvais goût, plus excitant que le prétendu bon goût qui n’est que la normalisation du regard » expliquait-il.

 

Flamants-roses-by-Jean-Baptiste-Talbourdet-Napoleone

 

Par la suite, le porno chic devient un véritable mouvement dont l’égérie fut Carine Roitfeld, muse de Tom Ford et ancienne rédactrice en chef du Vogue Paris. De son passage à la tête du Béhémoth de la presse féminine parisienne, on retiendra des pages sur papier glacé qui donnaient l’impression de se rincer l’œil entre un sac Versace et un parfum Tom Ford.
De nouveaux photographes et designers explicitent la sexualité et font main basse sur une vision provocante et obscène de la mode, s’attirant les foudres des féministes, des bien-pensants et des bigots en tout genre parfois à raison, parfois à tort. Qu’en reste-t-il à une époque où le minimalisme est roi et où le corps des femmes semble plus propice à l’habillement qu’au nu ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, beaucoup. Si la mode évolue avec une rapidité déconcertante, les autres industries culturelles ne sont pas en reste. Musique, cinéma et magazines font également leur marché dans le porno, mais pas trop, afin de nourrir leur imaginaire. « Je vois du porno partout » chante avec douceur Charles-Baptiste dans « Porno », titre issu de son album La Symphonie Pornographique. « À la base c’est parti d’une impression » commence-t-il à m’expliquer dans un café du 9e arrondissement. Nous sommes assis un peu à l’écart pour éviter, au début en tout cas, de froisser les oreilles délicates. « L’impression que le porno a complètement envahi nos vies, qu’il est partout, en particulier dans la musique depuis l’apogée de ce qu’on peut appeler la porn pop du « Rude Boy » de Rihanna jusqu’à Miley Cyrus, avant qu’elle ne fasse son truc avec les Flamming Lips qui est déjà bien sale » dit-il en se marrant. « D’ailleurs, j’ai sorti « Porno » le même jour que Miley & her Dead Petz. C’est marrant, j’ai été banni de YouTube mais pas elle. » Tout le long de cette chanson où le porno le poursuit avec un lyrisme à faire rougir les nonnes des pubs Dolce & Gabbana, les collages explicites de Jean-Baptiste Talbourdet, directeur artistique en charge des visuels de L’Incroyable Vérité, viennent titiller le regard.

Volcan-by-Jean-Baptiste-Talbourdet-Napoleone

Mais comment en sommes-nous arrivés là, les yeux rivés sur un océan bleu en forme de phallus ? La vérité c’est que le porno est plus accessible de nos jours. Fini les VHS glissées sous le manteau à la sortie des collèges – d’un coup de pouce sur écran on peut désormais assouvir sa soif de plaisir en regardant une variante de films et d’images pornographiques. « Comme pour la nouvelle pub Coca-Cola » me signal Charles-Baptiste. Il sort son téléphone et me montre une image sur laquelle deux jeunes se roulent une pelle au-dessus d’une bouteille de Coca-Cola. « Tu as vu ? Ils se roulent une pelle au-dessus de la pine. Tu ne l’as pas vu tout de suite ? Je suis un gros pervers, ou ? » Il y a pourtant des moments où on ne nous laisse pas vraiment le choix de voir. Début des années 2010, le duo Orties lâche « Soif de toi » ou encore « Plus pute que toutes les putes », des morceaux qui en musique ou en images font appel à une sexualité dénuée de tout complexe. Chevauchée de dauphin en plastique ou tapinage en forêt, les deux sœurs se jouent du tabou entourant le sexe et le revendiquent : « S’amuser de la fellation. Censurer l’appellation. Et assurer pendant l’action. ». Mais le rap a toujours été le grand allié du sexplicite – du « Ma Benz » de NTM à « Égérie » de Nekfeu en passant par le « Hotel Motel » de Matt Houston avec « Sat » de la Fonky Family. Aujourd’hui encore, même s’il s’éloigne du rap de caïd, le fleuron de l’hédonisme musical est porté par Odezenne. Avec « Je veux te baiser », le groupe originaire de Bordeaux a signé un hymne à l’amour des plus graphique. Rois de la métaphore filée, leur road-trip coquin nous entraîne à entonner avec entrain « Je veux te baiser. Tu veux me baiser. Nous, nous voulons nous baiser ».

 

Ski-by-Jean-Baptiste-Talbourdet-Napoleone

Sommes-nous tellement habitués à voir du porno partout qu’on n’en voit plus vraiment nulle part ? Selon la conférence « Le porno, nouvelle frontière culturelle ? » du European Lab Winter Forum, 15 % à 20 % du trafic internet est consacré à la pornographie. « Internet is for porn » vont jusqu’à insinuer nos voisins outre-manche.
C’est ce qui a poussé Eva Husson, la réalisatrice du film Bang Gang , à s’intéresser au sujet. « Mon postulat de départ, c’était de me dire que même ce qui peut paraître transgressif de l’extérieur montre qu’on cherche un truc très conventionnel, très basique. Est-ce que je t’aime ? Est-ce que tu m’aimes ? Je trouvais ça d’autant plus intéressant de le chercher dans cet écrin extrême qu’est le porno » m’explique-t-elle. Dans son film, une jeune fille amoureuse essaie d’approcher le garçon de ses rêves en organisant des soirées polissonnes. Ce qu’on relève en visionnant le film, c’est la place que l’image occupe dans ces nouvelles générations perdues. « La jeunesse aujourd’hui ose présenter à l’autre l’image qu’elle pense avoir d’elle-même. Et quand tu abordes la sexualité, t’as peu de références venant de tes paires et le seul référant accessible, c’est cette chose décontextualisée qu’est le porno. » Industrie hors-norme qui essaie donc, tant bien que mal, de se faire une place autant dans la sphère publique que privée.

Côté ciné, ce sont La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche et Love de Gaspar Noé qui ont été estampillés « Interdits aux – de 18 ans » pour le film de Noé et inderdit-du-grand-écran-tout-court pour le film de Kechiche. « Mais le cinéma et le porno ne font pas la même chose. Le cinéma propose un point de vue sur le monde et le porno, ce n’est pas un point de vue – ou alors un point de vue sur une chatte ou une bite. Le cinéma c’est une subjectivité aussi, c’est la seule manière de faire sens de ce monde chaotique » assène Eva Husson. Tout serait donc dans la suggestion, une frontière à ne pas dépasser pour ne pas tomber dans la vulgarité. D’un côté, on est dans une sexualité affirmée, débarrassée d’une image transgressive due à la libéralisation des mœurs et de l’autre, on retrouve une certaine pudeur, surtout dans le vêtement. La presse magazine n’est pas en reste quand en 2013 Frédéric Beigbeder reprend Lui et fait alors renaître tout l’imaginaire bourgeois de la sexualité. Un politiquement correct assumé qui peut manquer un peu de piquant. C’est une presse plus indé qui se permet d’oser un peu plus. Les revues Irène ou encore L’Imparfaite nous présentent une vision païenne de la sexualité contemporaine, entre poésie et luxure. Bizarrement, c’est ce moment que le magazine Playboy choisit d’annoncer qu’il cessait de publier des photos de femmes nues. Scott Flander, directeur du magazine est même allé jusqu’à affirmer en octobre dernier : « Les photos nues, c’est totalement dépassé maintenant. »

 

Rose-by-Jean-Baptiste-Talbourdet-Napoleone

 

Dans la mode, on aime s’affranchir des codes. Nicola Formichetti, directeur artistique de Diesel, a annoncé que la marque américaine aurait des publicités sur YouPorn et Pornhub. Quant à Vivienne Westwood, elle a choisi Colby Keller, star du porno gay, pour sa campagne printemps/été 2016.
Si on reste ici dans une luxure raffinée et un peu coquine, la société américaine Hot Octopuss elle, a décidé d’intégrer le porno à la ville. Si vous vous baladez dans New York entre la 28e et 5e rue, vous trouvez « Guyfi », une cabine destinée à la masturbation. Une manière de remplacer les cabines téléphoniques par des ordinateurs connectés à internet afin de pouvoir jouer les travailleurs manuels en toute tranquillité. Merci qui ?