N’importe quelle grand-mère vous le dira : « c’est par les pieds qu’on attrape froid ». Pourtant, malgré la saison estivale largement terminée, le constat est là : entre une paire de tennis taille basse et un pantalon un peu court, afficher ses chevilles reste de rigueur. D’où vient cette mode et pourquoi persiste-t-on à la suivre quand la météo appellerait plutôt à porter des chaussettes hautes en mérinos renforcé ?

Tout l’été, vous avez arboré votre look claquette-chaussette, avec la nonchalance d’un touriste allemand arpentant les ruines de la Grande Muraille de Chine, et maintenant que l’automne est là – avec sa menace grippale, ses toussotements métropolitains, et ses promontoires pharmaceutiques remplis de complexes vitaminés antiasthéniques – vous enfilez votre jean échevelé jusqu’à mi-mollet et une paire de baskets sans chaussettes apparentes; vous êtes déconcertant/e !

Je ne suis pas particulièrement frileuse, mais, j’ai le sentiment qu’une cheville gelée n’est agréable pour personne. Quand j’aperçois ces surfaces de peaux saillantes dans des températures minimales, rougies, séchées, tendues, je ressens (par empathie) un léger frisson. Alors, qu’est-ce qui peut, au mépris du confort, pousser autant d’hommes et de femmes à exposer leurs articulations scaphoïdes, astragales et sustentaculums ?

Lorsqu’en 1184, avant J-C, Achille prend part à la guerre de Troie, il a conscience d’être un surhomme. Pour cause, à sa naissance, sa mère Thétis,nymphe marine, l’a attrapé par le talon du pied pour le tremper dans le fleuve des enfers, le Styx, afin de le rendre immortel. Seulement, la zone par laquelle elle le retenait, n’a pu être immergée, devenant LE point faible de son fils, le fameux talon d’Achille. Est-ce par ignorance, par excès d’assurance ou par volonté d’une mort glorieuse qu’Achille part au combat, chevilles nues, pour mourir d’une flèche tirée à l’exact emplacement de sa « no go zone » personnelle ?

Voilà, une première leçon à tirer : montrer ses chevilles c’est exposer une vulnérabilité. De la même façon que le pouce opposable nous donne la capacité de préhension, nous sommes debout uniquement car cette articulation le permet. Et derrière chaque vulnérabilité se cache un potentiel érotique. En conséquence, si vous vous laissez aller à mater l’artère tibiale postérieure de votre voisin/e de strapontin et que vous apercevez, battre son coeur dans les pulsations de sa malléole interne, vous n’êtes pas bizarre, vous êtes simplement sous l’emprise d’un truc “sexy”.

Plus d’un exemple en littérature appuie votre faiblesse. L’un des plus significatif est sans doute le poème de Marivaux, où la jeune Marianne, en sortant de la messe, se fait bousculer par la voiture du jeune Valville et se tord la cheville. Elle est alors emportée chez lui afin de voir un médecin. S’ensuit, une scène chargée de tension que Marianne raconte :

“Ce qu’il y eut pourtant de particulier entre nous deux, c’est que je lui parlais de l’air d’une personne qui sent qu’il y a bien autre chose sur le tapis que des excuses, et qu’il me répondit d’un ton qui me préparait à voir entamer la matière. Nos regards même l’entamaient déjà; il n’en jetait pas un sur moi qui ne signifiât : «Je vous aime» ; et moi, je ne savais que faire des miens, parce qu’ils lui en auraient dit autant.
Nous en étions, lui et moi, à ce muet entretien de nos coeurs, quand nous vîmes entrer le chirurgien qui, sur le récit que lui fit Valville de mon accident, débuta par dire qu’il fallait voir mon pied.
À cette proposition, je rougis d’abord par un sentiment de pudeur ; et puis, en rougissant pourtant, je songeai que j’avais le plus joli petit pied du monde ; que Valville allait le voir ; et que ce serait point ma faute, puisque la nécessité voulait que je le montrasse devant lui.”

Chaud.