Comment décrypter le photo-journalisme d’aujourd’hui sans un regard sur l’oeuvre d’Henri Cartier-Bresson ? Plus encore, c’est le monde moderne que nous donne à assimiler, à travers son œuvre gigantesque, Henri Cartier-Bresson, à qui le Centre Pompidou rend hommage avec plus de 500 photographies, dessins et peintures en partenariat avec la fondation du même nom. Cette rétrospective inédite est la première depuis la mort du célèbre pionnier du photo-journalisme . « L’instant décisif » le caractérise pendant longtemps mais dans l’angle plus large de cette exposition, se dessine un photographe multi-genres. Figure majeure de la modernité, il se concentre sur le mouvement, la composition et l’humain. Il prend aussi de nombreux sujets en contre-pied pour donner à réfléchir  « L’oeil du siècle », est consacré jusqu’au 9 juin, avec une nocturne jusqu’à 23h00 tous les vendredisau centre Pompidou. On y a fait plus d’un tour pour y contempler et redécouvrir d’importants moments de notre histoire. Car au delà d’une exposition, c’est bien l’introspectif du photographe que l’on pénètre ; en noir et blanc, le temps d’un instant.

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Le style Cartier-Bresson s’est trop longtemps retrouvé catalogué. Une unique mouvance bien trop astreignante. Ici, on découvre l’homme, le photographe mais aussi l’enfant Cartier-Bresson ou encore celui qui arrête la prise de vue et redevient passionné de dessin à 70 ans. Cette figure majeure de la modernité se révèle d’une diversité et d’une richesse de parcours déclinées au travers de trois axes majeurs. Entre la décolonisation, la guerre d’Espagne ou encore sa période surréaliste. Plus surprenant encore, on ne revisite pas dans cette exposition les reportages les plus connus du photo-journaliste mais bien ceux qui ont introduit des périodes plus confidentielles, et plus insaisissables.

Chronologique et à la fois thématique on parcourt les débuts d’un jeune adolescent fervent de photographie, que l’on voit tenir pour la première fois un appareil, prendre en photographie ses proches ou encore peindre. On comprend alors que tout le travail de composition ne vient de nulle part ailleurs que de l’art, sa première influence. Un leitmotiv qui ne le quittera jamais car avant de se plonger corps et âme dans le photo-reportage et de fonder l’agence Magnum, Cartier-Bresson se concentre sur des compositions très géométriques centrées sur le « nombre d’or ». Puis c’est le temps du Surrèalisme, une influence forte qui lui donne un regard insolite sur des situations quotidiennes cocasses où l’oeil doit chercher à découvrir le mystère incrusté dans la réalité. Il commence les collages puis très vite comme ses confrères, s’engage. Anticolonialiste des premières heures, ses voyages initiaux vont à l’opposé de ce à quoi s’attend l’oeil occidental.

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En Afrique, il se focalise sur la vie quotidienne là où les autres aiment à montrer l’exotisme des traditions et croyances tribales. Farouchement communiste et révolutionnaire, il écrit des tracts et photographie durant la guerre d’Espagne. Social également, il est l’un des premiers à tirer des photographies hors normes de l’évènement majeur de l’année 1936 en France : le début des congés payés. Un moment unique, immortalisant le divertissement retrouvé, le temps de la liberté et la légèreté sur les visages de façon magique. Son engagement tangible ne cesse de s’ériger contre un fascisme qui tend à gagner la France…Henri-Cartier Bresson le vivra d’ailleurs, un peu plus tard, de l’intérieur, alors qu’il fut emprisonné pendant la seconde guerre mondiale. Il lui fallut 3 tentatives avant de pouvoir s’échapper à grand renfort de faux papiers.

De manière surprenante, il laisse la composition pour la rapidité de l’instant et les commandes du photo-journalisme. Il fonde l’agence Magnum qui est sur tous les fronts. Il photographie les temps modernes, ceux de l’industrialisation en masse comme l’ailleurs. De cette autobiographie visuelle, on en retient aussi le passage par le cinéma de Cartier-Bresson. Grâce à une superbe mise en scène dans une pièce carrée où les écrans se renvoient la balle. L’homme est attiré par un cinéma plus accessible au public que la photographie. Il en dit qu’il lui a « appris à voir » et dès 1934 intègre une coopérative de documentaristes nommée « Nykino ».

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De retour à Paris, il n’arrivera malheureusement pas à se faire engager comme assistant auprès de Bunuel mais entamera une collaboration avec Jean Renoir, pièce quasi centrale de cette rétrospective. S’ensuit alors une phase différente de la photographie, qu’il aborde comme une anthropologie visuelle. Lui qui est passionné du monde dira d’ailleurs « j’observe, j’observe, j’observe » insistant sur cette notion qui permet une analyse sociale et transversale. A son retrait de Magnum, trop éloignée, selon lui, de l’esprit de ses origines, il a 60 ans et devient dans les yeux de tous une légende vivante. Ce qui n’est pas pour lui plaire. Malgré l’arrêt officiel de sa carrière, avec son Leica à la main il fait de la photographie une contemplation intemporelle. Tel un phoenix, le cycle de l’artiste le ramène à ses premiers amours. Dans les musées, il accumule aussi bien les dessins et les autoportraits. Photographiant au crayon en quelque sorte le passage du temps sur son visage il consacre le reste de son temps à observer…observer…observer.

Rétrospective jusqu’au 9 juin au Centre Pompidou