Il a beau se trouver en plein milieu de la figure, on ne porte pas spécialement attention à notre nez. Pourtant, les odeurs sont de formidables moyens d’appréhender le monde. Art, science, histoire, se mettre au parfum grâce à l’odorat est possible et la revue Nez en est la parfaite illustration. Derrière ce semestriel, journalistes, scientifiques, historiens, sémiologues ou simples passionnés de fragrances aux nez toujours en alerte. Rencontre avec la rédactrice en chef de cette revue pleine de sens, Jeanne Doré.

 

 

 

 

1. Parlez nous un peu de la naissance de la revue Nez, quand vous êtes vous dit: «  tiens, si on parlait des odeurs » ? 

Ce n’est pas venu tout seul. L’histoire a commencé en 2006, on a décidé avec mon associé Dominique Brunel de faire un site qui publierait des critiques de parfums, Auparfum.com, mis en ligne en 2007. Je travaillais déjà dans le parfum et je voulais donner un avis différent sur ce dernier. Moins de discours commerciaux dictés par les marques pour vendre et plus d’avis critiques comme on peut en trouver pour la musique, le cinéma, la littérature… 

2. Cela a suscité de l’intérêt ? 

Auparfum a évolué. Des personnes qui commentaient seulement au départ les articles sont devenues des habitués du site.  Ils se sont mis eux aussi à rédiger des critiques, des textes. Une communauté s’est ainsi formée réunissant des personnes souhaitant animer la filière du parfum avec un positionnement et un regard différent de celui qui existait jusqu’à présent. 

3. Quand les odeurs sont-elles venues se poser sur le papier avec le magazine Nez ? 

Auparfum était un modèle économique quelque peu fragile: un site internet gratuit où il n’y avait quasiment pas de publicité. C’était  un travail reposant sur le bénévolat. L’idée de passer à un format papier était de rendre la chose un peu plus viable mais aussi d’élargir le parfum au-delà du simple produit/objet et de l’ouvrir à tout ce qu’on appelle aujourd’hui la culture olfactive. 

4. Quelle est la note de cœur de Nez ? 

Quand on parle de parfum, on peut vite rentrer dans des considérations d’ordre  scientifique. Comment le cerveau perçoit les odeurs etc. Mais aussi plus surprenant, des questions d’ordre culturel: le lien entre la parfumerie et les autres disciplines artistiques, la culture gastronomique ou encore l’histoire. On a imaginé la revue Nez comme un lieu pluridisciplinaire où toutes les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, s’intéressent à l’odorat pourraient venir croiser leurs connaissances  et créer  un point de rencontre de tout ce qui  a trait à la culture olfactive. 

“Tout le monde est capable de bien sentir, il n’y a pas de systèmes olfactifs plus forts que d’autres. C’est notre culture qui nous  pousse à ne pas se servir de ce superbe outil”

5.  La presse a fait un peu le tour des différents sujets à exploiter. S’intéresser au monde par les odeurs, c’est faire le choix de sujets inédits, peu ou pas du tout exploités ? 

On a déjà fait le choix d’un rythme un peu lent, on publie tous les 6 mois sur un format assez dense. Il y a beaucoup à lire. L’idée c’est de proposer un média qui a différentes fonctions. On cible toute la communauté qui aime le parfum, qui aime l’odorat, ce sont les premiers lecteurs et ce sont eux qui sont les premiers ciblés.

6. Qu’en pensent les parfumeurs ? 

Nous sommes très lus par les marques de parfums, les parfumeries  et les parfumeurs. En général, nous avons de très bons retours de leur part car ce sont des gens qui travaillent beaucoup dans l’ombre. Ils sont ravis de voir des choses écrites sur leur travail. Ces professionnels nous accompagnent donc aussi dans la réalisation de la revue mais également dans d’autres projets comme la publication de livres. 

7. Comment votre revue nous tient au parfum ? 

C’est vaste! Il y a la partie “correspondances” qui croise l’olfaction avec différents domaines  de création pour montrer justement que la parfumerie est une forme d’art. Ensuite on a une partie plus magazine, un côté plus reportage sur les matières premières par exemple, une rencontre avec un parfumeur etc. Pour finir il y a le grand dossier, véritable coeur de la revue. On réfléchit à un sujet qui résonne avec la parfumerie, avec l’olfaction. On l’aborde ensuite avec différents aspects: historique, scientifique, sociétal, marché de la parfumerie etc.

8. Et le public qui n’est pas initié au parfum ? 

On s’efforce toujours de créer un angle qui montre que l’olfaction fait partie de notre vie pour intéresser tous les lecteurs. Pendant des siècles, un long travail a été fait pour persuader l’homme que son odorat ne servait à rien et qu’il ne fallait surtout pas s’en servir sinon on se rapprochait de l’animal.  On veut justement aller à l’encontre de cette idée et faire prendre conscience au lecteur que l’odorat est important sur une multitude d’aspects et lui faire prendre conscience de l’odorat au quotidien. 

9. Les gens utilisent peu leur odorat  pour regarder le monde.  On a une culture cinématographique, une culture musicale mais pas vraiment de culture olfactive. 

Non, car il n’y a pas d’éducation olfactive. Personne n’apprend à un enfant à mettre des mots sur une odeur.  Il va lui-même se faire son petit vocabulaire mais de manière empirique et pas vraiment structurée. Ce n’est pas une discipline apprise à l’école ou  dans le cadre  familial.

“Les gens n’écoutent pas assez ce qu’ils ressentent quand ils sentent”

10. Comment apprendre à sentir? 

Déjà, prêter attention aux odeurs qui nous entourent à travers les lectures que propose Nez , essayer d’être plus attentif. Ensuite il suffit d’apprendre des mots, d’apprendre à caractériser.  

11. Justement, c’est compliqué de décrire et d’écrire ces odeurs pour nous qui n’avons pas ce vocabulaire.  

Il n’y a pas de dictionnaire des odeurs à proprement parler, on va se le créer soit-même. Quand on sent une odeur, on ressent surtout des émotions. Autour de ces émotions, on est tous capables de formuler des mots. C’est la raison pour laquelle quand on sent une odeur et qu’on a absolument aucune idée de ce que ça peut être, on est tout de même capable de dire si l’on trouve ça doux, agréable, agressif, si ça nous rappelle un souvenir précis etc. Tous les élèves parfumeurs étudient des matières premières et pour les remémorer ils utilisent  leur propre vocabulaire, leurs propres émotions. Ce sont des références très personnelles. 

12. Dans votre rubrique ” la boutique imaginaire “, vous nous donnez le sillage idéal de personnages comme Mia Wallace, Homer Simpson… Pourquoi cette idée originale ?

Elle illustre la vison de la parfumerie que l’on veut incarner à travers Nez.  C’était un moyen détourné de parler de parfum.  Un vendeur imaginaire recommande  le parfum idéal à des célébrités ou des personnages fictifs qui ont une image forte. Ce collage est une manière de dire qu’un parfum est capable de se superposer aux traits de caractère de la personne et de l’incarner au mieux. On est loin d’un discours publicitaire classique. 

13. Pour nous faire patienter, pouvez vous nous donner la ligne directrice de votre prochain numéro qui sortira en avril ? 

Le thème du grand dossier sera «sens animal». On va explorer tout les liens de l’odorat avec l’animalité, ça va être très large comme sujet. Exemple, l’importance de l’odorat chez l’humain. De plus en plus études montrent que l’on est capable de percevoir inconsciemment des odeurs qui nous donnent des informations sur l’état émotionnel de quelqu’un. Il y a ensuite tout un travail sur les matières premières animales qui sont utilisées en parfumerie depuis longtemps, avec  la question de la cruauté animale très présente aujourd’hui à l’heure ou beaucoup de marques se revendiquent Vegan. Ou encore le côté animal des odeurs qui peut être lié à la sexualité, un aspect souvent utilisés par les marques …