Si la carrière de Jim Jarmucsh nous laissait prévoir que ce film, présenté au festival de Cannes, serait un des plus délectables de ce début d’année, on restait dubitatif quant à cette thématique vampiresque tout de suite acculée au succès pré-adolescent sorti d’église : Twilight. Pourtant ce scénario s’avère baroco-burlesque et tourné vers l’art. Un style qui colle à la peau de son réalisateur toujours prèt à mettre en scène des anti-héros nonchalants, dans un univers mi post-apocaliptique mi-moderne, propre à Jarmush.

Jim Jarmush

Primée comme meilleure bande originale du festival de Cannes 2013, la musique du film est aussi remarquable que la place qu’il lui donne. Dans cet univers baroque et romantique où le vague à l’âme propagé par les villes désolées de Detroit et Tanger, pousse aux rêveries lancinantes de ses protagonistes, la musique n’est pas là pour combler le silence terne de cet espace-temps de noctambules. Adam (Tom Hiddleston) est un musicien underground, dont les compositions sont immensément recherchées et pour cause, à traverser les âges, cet artiste à laissé sa patte dans le temps et parmi les plus grands. Vampire, certes mais vampire dandy, évitant le meurtre au premier degré, il retrouve très vite son amante et femme aussi énigmatique qu’elle n’est divine, en Eve (Tilda Swinton). Ces retrouvailles font alors rejaillir la mélancolie voire la profonde dépression que l’artiste ressasse, seul, dans son rejet de l’espèce humaine et de ses activités.

Leur histoire a voyagé et passé le temps. Au travers de métaphores romanesques, Jarmucsh fait entendre que ces amants sont liés pour l’éternité dans la vie et dans la mort. Une image qui lie à la fois le cœur et la raison tant Eve admire la littérature et Adam la musique. Mots et musique, principalement soul et rock, se lient donc l’un et l’autre. Eve, sortie de Tanger, ne se passe pas de ses livres et de récit décryptant la magie de l’univers tandis qu’Adam ne vit que par sa musique qu’il compose seul dans son « terrier » baroque. Les instruments entourent ce cocon où ils rêvent, se racontent, s’embrassent, jouissent ou se mettent au défi. L’idylle de ces deux personnages baudelairiens est alors pertubée par l’arrivée de la déjantée Ava : Mia Wasikowska, petite sœur d’Eve, qui perturbe cet univers de création abreuvé d’une dichotomie d’ombre et de lumière (ajoutée à la personnification des arts et lettres), constante et représentée par ce couple dandy. Eve de son blond et blanc vêtu rallume l’espoir d’un noir et mélancolique Adam qui torturé par ce destin de vampire où l’éternel fait foi.

Parfois burlesque même, la situation dérape lorsqu’ils se confrontent au retour au naturel vampiresque d’Ava. Extravagante, elle perturbe l’humble et introvertie Adam. Ava désigne cette nature, brute et dominante qui ne cesse de les rattraper et les apeure dans cette soif animale sans fin que leur état leur assujettie. Ces êtres en marge finiront par s’enfuir même si la quète du bonheur prédomine. On reconnaît bien là le style de Jarmucsh, lui-même musicien qui met en scène ce couple comme un tout. Deux atomes qui s’emboitent et même éloignés s’apparentent. Une profondeur qui s’ajoute aux scènes d’amoureux transit d’une poésie intense que la musique sert autour de ce dandysme désabusé.

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Etranges et décalés, les amants vivent leur amour dans la passion de la création artistique en étant presque même condescendant. A travers leur bulle, l’auteur rend donc tendrement et de manière humoristique, hommage aux grands lettrés de notre monde. Le clavieriste qu’il est montre également son attirance pour le rock underground. Lui-même étant musicien du groupe post – punk The Del-Byzanteens. Mais le plus surprenant et étourdissant reste cette opposition du monde toujours existante entre le nord et sud qui dans le texte, comme dans la musique et les scènes du film s’opposent. Quand le sud se prépare à jaillir, comme l’annonce cet épisode du monde moderne post-apocalyptique, la musique de la libanaise Yasmine Hamdan rencontre la sensibilité du protagoniste, en un vain espoir. Un choc des mondes qui conclut le film sur une sensation hypnotique où l’art comme la musique berce les amoureux de ce monde moderne en plein effondrement, entre contamination et dévastation, qui seuls subsisteront.

Only Lovers Left Alive, sortie le 19 février 2014