En 1990, le
cinéphile et cinéphage, Martin Scorsese créent avec plusieurs collègues
réalisateurs, la Film Foundation, chargée d’exhumer et de conserver les pépites
cinématographiques du continent américain. Plusieurs centaines de films sont
ainsi méticuleusement restaurés comme Baby Doll d’Elia Kazan, la Comtesse aux
pieds nus de Josef Mankiewicz, Eraserhead de David Lynch ou plus récemment Le
Guépard de Luchino Visconti, trahissant les aspirations plus
« mondiales » de ce groupuscule actif de pourfendeurs du 7e
Art.

 

La World Cinema Foundation est un prolongement naturel de mon
amour pour les films
. Martin Scorsese


Quelques années
plus tard et fort du succès de cette entreprise, le protectorat s’est entendu
aux films oubliés, appartenant à des cinématographies mal connues :
« La World Cinema Foundation a été créée dans le but d’aider les pays en
développement à préserver leurs trésors cinématographiques. Nous voulons
consolider et soutenir le travail des archives internationales, en offrant une
aide aux pays qui ne possèdent pas les infrastructures techniques ni les
ressources d’archivage nécessaires pour faire ce travail eux-mêmes. »
(Martin Scorsese).

 

Quatre mystérieux
longs-métrages sont les premiers rejetons de cette entreprise philanthropique.
Les titres ne vous diront sûrement pas grand-chose, pourtant ces films valent le
détour.

Les révoltés
d’Alvarado (1936) de Fred Zinnemann (plus connu pour Tant qu’il y aura des
hommes ou pour Le train sifflera trois fois) et Emilio Gomez Muriel dépeint de
façon très naturaliste, à la lisière du documentaire (les acteurs étaient amateurs
et jouaient leur propre rôle), le quotidien misérable des pêcheurs d’Alvarado,
sacrifiés sur l’autel du mercantilisme par les notables et les politiques. Un
peu comme dans les films d’Eisenstein, la révolte gronde et divise, sur fond de
marxisme larvé. Il faut noter la superbe photographie du très grand Paul
Strand, principal instigateur du film qui marqua les débuts du cinéma mexicain.

 

Le Voyage de la
Hyène (1973) de Djibril Diop Mambety suit les tribulations, dans une société
dakaroise fossilisée et paradoxale, d’Anta et de Mory, deux jeunes déclassés
qui rêvent de rallier Paris et vivent de menus larcins. C’est à une balade des
amants maudits que nous convie le jeune réalisateur sénégalais dans Touki Bouki
dont Elisabeth Lequeret dira dans Le Cinéma Africain : « Touki Bouki
n’est pas seulement pour le débutant Mambéty (il avait 28 ans NDLR) un coup de
maître, et pour le cinéma africain une manière de chef-d’œuvre : c’est
aussi le premier film qui, construisant un complexe et chatoyant paysage spatio-temporel
où se mêlent présent et futur, réalité et fantasme, ici (Dakar) et ailleurs
(Paname), inventant des transitions d’une force, d’une brutalité, d’une beauté
à couper le souffle, fait entrer le cinéma africain dans l’âge de la rupture et
du chaos, du clivage, physique autant que mental ».

 

Transes (1981)
d’Ahmed El Maanouni est un documentaire qui s’écoute plus qu’il ne se regarde.
Scorsese raconte que, travaillant un jour de nuit sur le montage de la Valse
des Pantins, il est tombé sur Transes à la télévision et n’a pu, dès lors, se
défaire de la musique entêtante du groupe marocain (né dans les années 1970 à
Casablanca dans le quartier pauvre d’Hay Mohammadi, qui se découvre dans de
nombreux plans), Nass El Ghiwane, mêlant thèmes sociaux traditionnels et
problèmes contemporains. Pas étonnant lorsqu’on connaît l’attachement du
réalisateur de Casino pour la musique et sa dimension exaltante alors que
chaque concert de Nass El Ghiwane, aux allures de match de football pacifique
et à la liesse contagieuse, menait à la transe collective : « Voici
venu le temps de l’extase, le temps de la transe. Qui refusera à ses sens cette
transe se fanera » chante le groupe. À méditer.

 

Le cinéma kazakh
est très peu connu et ne trouve une tribune d’expression que lors de certains
festivals. Montré à Cannes en 1989, la Flûte de Roseau d’Ermek Shinarbaev (qui
a étudié dans la grande école de cinéma russe VGIK) conte l’histoire d’une
sombre mais poétique vengeance. On est loin de Kill Bill. Un homme décide
d’avoir un fils pour venger la mort de sa fille, tuée par son maître. Rais
lumineux, rideau de pétales, code d’honneur, spectres vindicatifs, paysages
spectaculaires, on est dans la poésie visuelle plus que dans l’effusion de
sang, qui s’écrit sur le fil de l’histoire de la diaspora coréenne au
Kazakhstan (sur un scénario d’Anatoli Kim).


Ce premier volume
de la World Cinema Foundation est une réussite, que ce soit en termes de
restauration (l’image dépoussiérée se gonfle d’une nouvelle épaisseur) que de
défrichage d’un patrimoine délaissé.


Par Florent Oumedhi

Crédit Photo : World Cinema Foundation (tous droits réservés)


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www.film-foundation.org/

worldcinemafoundation.org/

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Cinema Foundation chez Carlotta. Prix : 34,99€