La Galerie Cinéma de Paris ouvre un nouvel espace dédié aux innovations artistiques et technologiques. Le lieu nous met des étoiles plein les yeux avec sa première expérience immersive : Spheres, une nouvelle forme d’écriture cinématographique créée par la cinéaste Eliza Mcnitt. Un voyage intergalactique en réalité virtuelle alliant art et science pour découvrir la musique d’un orchestre un peu particulier : celle de notre système solaire. Modzik a rencontré la réalisatrice de ce film gagnant du Grand prix de la meilleure œuvre en réalité virtuelle lors de l’édition 2018 de la Mostra de Venise avec Darren Aronovsky & Ari Handel à la production éxécutive.

Tu es cinéaste mais aussi écrivaine, pourquoi a-tu décidé de raconter l’histoire du cosmos différemment avec la réalité virtuelle ? 

J’ai toujours été attirée par la narration d’histoires autour de la science. Ma première expérience en VR a été une catastrophe et m’a donné la nausée. Cependant, j’en ai retenu l’impression de flottement et le côté transportant qu’elle donnait. Avec ce potentiel, j’ai réalisé mon premier projet en réalité virtuelle: Fistull of Stars, un voyage à l’intérieur de la nébuleuse d’Orion qui nous fait prendre conscience de la connexion entre les hommes et les étoiles.   

Quand a eu lieu le “Big Bang” entre art et science dans ton travail ? 

Je viens d’une famille qui aime ces deux domaines. Mon grand-père était un ingénieur en chimie et regardait toujours le monde avec le filtre de la science pour voir comment les choses marchent.  Au lycée, je me suis pleinement investie dans la science et j’ai réalisé un projet sur la pollinisation des abeilles qui est devenu par la suite ma première oeuvre:  Requiem for the Honeybee. On peut apprendre et faire apprendre tellement de choses quand la science et l’art sont combinés. 

Tu es donc une sorte de Léonard de Vinci

« Etudie la science de l’art, étudie l’art de la science », c’est lui-même qui l’a dit. On peut être un artiste et avoir aussi ce laboratoire de curiosités. Il y a une responsabilité de la part d’un artiste d’imaginer ce monde qui deviendra notre réalité. C’est important pour les gens d’avoir la perspective que l’espace est proche de nos vies, notamment aujourd’hui vu la fragilité de notre planète.

“La physique est un langage de métaphores. Transformer la science en métaphore, en musique, c’est lui apporter de l’émotion”

Tu parles justement dans Spheres de la musique de l’humanité qui connecte avec celle l’espace, nous sommes intimement liés ? 

Oui l’humain n’était pas là au début et ne sera pas là à la fin, mais nous avons tous notre part à apporter, nous faisons partie de ce  grand orchestre qu’est l’univers. C’est pourquoi j’ai trouvé l’idée de la musique si intéressante.  

Spheres nous fait comprendre que l’univers n’est pas silencieux.  

Oui, l’univers produit des sons alors qu’on a toujours pensé le contraire. On peut en détecter une multitude à l’aide d’instruments et traduire ces fréquences en musique. Exemple, dans le premier épisode de Spheres on découvre les ondes électromagnétiques qui entourent notre terre, on a réussi à en produire un spectre que l’on peut traduire en ondes acoustiques. C’est comme si on avait eu une radio au-dessus de nos oreilles depuis longtemps et qu’on peut finalement capter ce qu’elle diffuse, c’est magique !

Peut-on réellement parler de musique ou faut-il s’en tenir au terme de son de l’espace ? 

Le terme technique serait “son” mais je préférerais l’envisager en terme de musique, c’est toute l’approche de Spheres. Les compositeurs de Spheres Kyle Dixon et Michael Stein du groupe Survive et qui ont également composé la BO de Strangers Thing m’ont aidé à traduire ces sons en musique. Notre ingénieur son Craig Henighan nominé aux oscars pour Roma nous a aussi aidé à jouer sur les textures, l’atmosphère, l’ambiance de ce que la musique de l’univers serait.

Quel est ton ” morceau” de l’espace favoris ? 

Une des sonorités les plus incroyables de l’espace est la coalition entre deux trous noirs que l’on reproduit dans le second épisode de Spheres. Il y a un billion d’années, deux trous noirs sont entrés en coalition et ont ainsi créé une ondulation dans la création de l’espace-temps et c’est seulement il y a quelques années que l’on a pu détecter cette ondulation et écouter le son qu’elle produit. C’est la première fois qu’on a entendu le cosmos chanter.

” Un trou noir fait des percussions sur l’espace-temps comme sur une batterie”

Quelles techniques ont permis de nous faire entendre ces sons venus d’ailleurs? 

Ca a été laborieux! C’était à la fois un travail de réalisme et d’interprétation. On a utilisé de véritables sons de la Nasa comme celui de la ceinture de Saturne. Nous les avons par la suite mis en composition pour créer quelque chose de plus musical. Chaque galaxie, planète, produit un son différent. Il y en a encore beaucoup à découvrir, nous n’avons pas été capables pour l’instant de capturer la musique de Mercure ou de Mars.

Pour parfaire l’expérience de Spheres, tu as utilisé la voix d’autres stars comme Millie Bobby Brown, Jessica Chastain et Patti Smith. Pourquoi ces femmes t’ont inspiré ? 

C’était très important pour moi d’avoir la voix de trois générations de femmes pour raconter l’histoire de l’univers. J’ai grandi avec la voix de personne comme Stephen Hawking  pour me raconter le cosmos mais je n’ai jamais entendu la voix d’une femme. J’ai été inspiré par l’astrophysicienne Jocelyn Bell Burnell qui a fait des recherches sur les étoiles et écrivait des poèmes à ce sujet, entendre sa voix connectée l’art et la science m’a donné de nouvelles perspectives. J’ai voulu endosser le même rôle qu’elle, c’est important pour les jeunes femmes de se voir comme des scientifiques légitimes d’explorer les mystère de l’univers. On a voulut traduit cette expérience en français avec des voix aussi fortes que les anglaises: Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos, Jane Birkin. 

Spheres d’Eliza Mcnitt à partir du 6 février à la                                                                                                                                   Galerie Cinéma, 26, rue Saint-Claude, Paris 3ème.
Pour plus d’informations : galerie-cinema.com