Trois ans après What Will We Be, Devendra Banhart revient avec Mala, un disque plus intime et épuré. Alors qu’il habite depuis peu à New York, on a voulu savoir où il en était, après 10 ans de carrière. Toujours accessible, il nous a parlé de skate, du dernier album des Strokes, et de ses autres projets, le tout avec la décontraction qu’on lui connaît.

Cet album est plus intime que le précédent…

Oui, je préfère celui-ci. [Sourire] Sur l’album précédent, on était tout un groupe. Pour celui-ci, il n’y avait que moi et mon vieux pote, Noah Georgeson. La différence, c’est qu’il y avait moins de gens, donc moins d’options et plus de responsabilités à prendre. Mais cela te donne, surtout, l’opportunité d’être plus créatif. C’était très inspirant. On a utilisé le studio comme un instrument. Ce qui était super, c’est que le studio était juste derrière mon appartement à Los Angeles. Donc, je me retrouvais dans ce petit appart pour travailler, et je pouvais ensuite aller au studio dès que je me réveillais.

Le disque est aussi plus sombre, plus mélancolique…

Qu’est-ce que tu veux, je vieillis ! Le soleil commence à se coucher mon ami. [Sourire]

Tu te sens plus pessimiste avec l’âge ?

Oh, non ! Disons qu’avant, j’étais un pessimiste optimiste et que, maintenant, je suis un optimiste pessimiste.

Il y a une chanson sur cet album qui porte le nom de Keenan Milton, une légende du skate disparue au début des années 2000…

Oui. Il a disparu dans des circonstances très dramatiques… Quand j’étais petit et que je vivais à Caracas, la musique que j’entendais le plus souvent, c’était la salsa, la cumbia, la bossa nova, ce genre de choses. Mes parents écoutaient cela aussi. Plus tard, quand je me suis mis au skate, je suis tombé sur la participation de Keenan Milton à la vidéo Chocolate. On entendait « Shanty Town » de Desmond Dekker, cela m’a terriblement marqué. Je n’avais jamais entendu ce genre de truc ! Honnêtement, les vidéos de skate m’ont tellement fait découvrir de groupes ! C’est la première fois que j’y ai entendu The Cure, Joy Division, Bad Brains, The Smiths dans la vidéo 411, David Bowie dans la vidéo Foundation, sans oublier du jazz dans la vidéo Stereo. Mais la chanson de Desmond Dekker m’a vraiment retourné, cela a changé ma vie. C’est pour cela que je voulais rendre hommage à Keenan, c’est l’une de mes grandes influences.

Et quelle est ta vidéo de skate préférée ?

C’est une question intéressante. Quand j’étais très jeune, j’ai vu la vidéo Propaganda de Powell, qui a dû sortir en 1990. J’étais fan du skater Frankie Hill : ce qui est hallucinant, c’est qu’il skate toujours ! Je me souviens ne pas comprendre comment il faisait pour sauter avec leur skate.

On te voit d’ailleurs très bien skater dans une vidéo sur You- Tube…

Merci, mais c’était il y a un moment. [Sourire] Je ne skate plus trop et je dois être très mauvais maintenant. Mais j’ai eu mes moments.

Tu vis à New York maintenant. Pourquoi as-tu déménagé ?

J’ai quitté Los Angeles, parce que j’en avais marre de conduire tout le temps. Et puis, New York me manquait. J’ai lu un livre de Tim Lawrence, Hang On To Your Dreams, qui retrace la musique underground de New York, entre 1973 et 1992, autour d’Arthur Russell, et cela m’a donné envie d’y retourner.

Il y a d’ailleurs une chanson sur cet album qui sonne un peu comme Arthur Russell…

Tu trouves ? Non, en fait l’idée, c’était de faire comme si ta mère n’avait que deux disques à la maison, New Order et The Shaggs, et essayer de s’en inspirer pour faire une chanson.

Tu penses qu’avec cet album, tu as voulu retourner à l’origine de ta carrière ?

Non, c’est quand même très différent.

Sur ce disque, tu chantes en anglais et en espagnol…

Pour moi, c’est plus facile d’être intime, quand je chante en espagnol. Mais finalement, c’est dur dans n’importe quelle langue de l’être.

Tu as déjà dit que tu n’arrivais pas à composer une vraie chanson d’amour qui ne soit pas cynique. C’est vrai ?

Non, cela a été déformé. C’est juste que quand j’écris une chan- son d’amour, je suis incapable de me positionner à la première personne.Donc, j’invente des personnages, j’invente des lieux. Cela me permet de prendre de la distance.

Tu as des idées pour tes prochains clips ?

Je n’en ai vraiment aucune idée, c’est terrible. Honnêtement, je ne suis pas très fier de mes vidéos. A part celle pour « Cruisin’ ». Tu as vu la dernière vidéo de Bowie pour « Where Are We Now ? » ? Je trouve cela splendide, et la musique est magnifique.

Tu as écouté le nouvel album de tes potes des Strokes ?

Oui, je trouve qu’ils se sont donnés un nouveau challenge musicalement. C’est assez différent. Le premier single, j’ai mis quatre écoutes à vraiment l’apprécier, car c’est une nouvelle direction.

Tu penses que tu donneras une suite à ton autre side project, Megapuss ?

Megapuss, au départ, c’est mon projet avec Gregory Rogove. Le problème, c’est qu’il est très occupé. Il joue avec moi pour cet album et, en plus, il joue avec Unknown Mortal Orchestra. Il va aussi sortir un album solo au piano, il fait des musiques de films, et il a encore un autre groupe. Mais dès qu’on aura du temps, on refera sûrement un album de Megapuss. Il vivait avec moi à Los Angeles, on a, d’ailleurs, enregistré une chanson sur la Dream Team de la NBA de 1994, pour le fun.

Tu as vécu à Paris. Quel souvenir en gardes-tu ?

Oui, et je vais sûrement venir ici plus souvent. J’y ai une chambre. Mais honnêtement, ce n’était pas une super période pour moi, quand j’y habitais. Ce sera différent la prochaine fois. [Sourire]

Tu es toujours intéressé par la mode ?

Oh oui ! Encore plus qu’avant. J’ai cette chemise de Massoni que je porte. J’adore aussi Alexander Yamaguchi.

Tu peins toujours ?

Oui toujours, j’ai fait la pochette de cet album et j’ai une nouvelle exposition prévue cette année. C’est important pour moi. J’ai un projet de peinture sur de la nourriture japonaise qui s’appelle Nato.

Devendra Banhart, Mala (Nonsuch/East West)
www.devendrabanhart.com

Propos recueillis par Guillaume Cohonner
Photos Fanny Latour-Lambert
Stylisme Flora ZouTu