Nous avions laissé Chairlift il y a trois ans sur Does it Inspire you, album resté quelque peu confidentiel. De passage à Paris, le très sympathique duo originaire de Brooklyn nous livre quelques clés sur leur nouvel album, Something, le meilleur disque pop de ce début d’année. Rien que ça.

Brooklyn a toujours été un vivier de groupes indie à l’image de la Big apple. nerveuse, arty et ouverte sur toutes les cultures. ville du melting pot culturel par excellence, une pléthore de jeunes groupes se font et se défont comme autant de tendances et de mode. si l’arrivée des strokes en 2001 montra pour beaucoup le chemin du revival rock en ce début de siècle, animal Collective bouleversa également son petit monde quelques années plus tard avec une folk psyché qui ouvrit le champ des possibles. Décomplexant ainsi une nouvelle vague d’artistes qui ne se recentrent plus sur une décennie musicale, mais bien sur plus de 50 ans de culture pop, le tout en se réinventant un futur.

Chairlift vient de là. C’est en 2005 que Caroline Polachek et Aaron Pfenning se rencontrent à l’université du Colorado où Caroline nourrit un appétit grandissant pour les arts plastiques et notamment la vidéo. ensemble, ils décident de monter un groupe. sans aucune prétention, seulement pour eux 67 Musique et leurs amis. Dès le début, ils imaginent une musique inévitablement liée à l’image, leur première idée est d’ailleurs de composer une musique pour les maisons hantées !

À la fin de leurs études, ils décident de rejoindre l’épicentre du la jeune scène arty à Williamsburg, Brooklyn où ils signent en 2007 chez Kanine records pour sortir leur premier album, Does You Inspire You. rapidement repéré par le single Bruises, le titre se voit propulsé comme bande-son de la nouvelle pub apple pour l’iPod nano. Le duo est ensuite rejoint par Patrick Wimberley, un passionné de musique avant-gardiste et producteur en herbe. Quelques mois plus tard, aaron Pfenning quitte le navire pour se concentrer sur une carrière solo via son projet rewards. Malgré le succès de ce premier album, Caroline n’en oublie pas ses premiers amours, la vidéo. En utilisant pour la première fois la technique du datamosh pour le clip Evident Ustensil, elle dépasse Kanye West dans la course à la technique numérique. Chairlift est ainsi nominé dans la catégorie « Breakthrough videos » aux mtv awards de 2009. Pas mal pour un jeune groupe indé adepte du do-it-yourself. Forte de cette notoriété, la généreuse Caroline n’en oublie en rien la scène arty qui l’a vu naître. Suivant son instinct, elle collabore avec l’avant-garde de Brooklyn : Boy Crisis, son compagnon Jorge Elbrecht du groupe violens, yeasayer, Das Racist, Acrylics ou encore Sebastian Blanck.

Après une tournée mondiale (et des premières parties pour Phoenix et Grizzly Bear) et l’enregistrement de leur second album qui leur aura pris quasiment un an, Chairlift revient donc avec Something. moderne, portés sur le futur, ces onze titres sont bien la preuve que nous sommes ici en présence d’un grand groupe : intelligent, inspiré et à l’énergie déconcertante.

Comment s’est passé votre concert au Silencio à Paris ?

Caroline Polachek : C’était génial ! Le son était assez chaotique pour cause de balances faites en deux minutes (rires). On a déjà joué deux fois là-bas. David lynch a réussi son pari en dessinant ce lieu sublime, on se croirait dans Mulholland Drive.

J’ai appris que vous alliez jouer en première partie de Lulu Gainsbourg…

CP : oui, c’est arrivé très spontanément… C’est assez étrange, nous avons joué dans ce club en dessous !

[le taxi traverse le pont alexandre III où se cache le showcase, n.D.l.r.].

J’adore tellement cette ville !

Et vous vous sentez comment avant la sortie de ce disque ?

CP : Plutôt apaisés. on a pris pas mal de temps pour le peaufiner donc on se sent assez excités à l’idée de le sortir. on a quand même enregistré il y a un an à new york, ce n’est pas comme enregistrer en studio et partir en promo directement. Cet album est très dense et plus dramatique dans un sens…

J’ai lu que vous êtes influencés par le cheap jazz qu’on entend dans les supermarchés...

CP : (rires) oui, du fake jazz ! mais pas non plus du Norah Jones (rires) ! Je n’aime pas quand la pop devient trop sérieuse. Pour moi, c’est une insulte à l’intelligence de l’auditeur. J’adore Bryan ferry par contre. il met de la distance entre l’auditeur et son personnage, et c’est complètement assumé. Pour moi, Animal Collective ne le fait pas assez. Ce sont des génies mais tout ça devient trop sérieux.

Et que pensez-vous de groupes comme Ariel Pink, John Maus ou Holy Shit ?

CP : J’adore ! ils ne se racontent pas des détails de leur vie dans leurs chansons. C’est très dramatique dans un sens, très théâtral ! J’apprécie aussi Geneva Jacuzzi, bien meilleure qu’Ariel Pink ! Mais elle n’a pas encore assez de bonnes chansons. Dans un autre style, j’aime beaucoup Cass mcCombs. Je vais sûrement faire une reprise d’un titre de son dernier album.

Comment était votre dernière tournée en Europe ?

Patrick Wimberly : Ça fait longtemps maintenant. mais c’était super, on a tourné avec Phoenix et notre ami John maus – qui est prof de philo dans la vie. il a même partagé la scène aux claviers avec nous.

Que s’est-il passé depuis la sortie de votre premier album ?

CP : on a joué en concert pendant un an et demi. C’était plutôt intense ! J’ai aussi collaboré avec d’autres artistes, puis on a écrit Something, enfermé tous les deux dans une chambre, sans pression mais en voulant à tout prix rester concentrés pour produire une musique de qualité et toucher un public plus large. le premier album était plus un hobby pour nous. on pensait que seuls nos amis allaient l’écouter !

Comment décririez-vous cet album ?

CP : énergique, plus dynamique.

PW : on a voulu y mettre toutes nos influences, pas seulement musicales.

CP : C’est de la pop music dans le sens noble du terme, ça n’a rien à voir avec de l’indie rock ! mais ça reste expérimental sur la production, non pas sur nos compositions.

Pensez-vous que vos collaborations vous ont influencés ?

PW : oui, ça nous a permis d’essayer de nouveaux styles, comme celui de Das racist par exemple [groupe de hip-hop originaire de Brooklyn, n.D.l.r.], assez éloigné du nôtre.

Caroline, maintenant sur scène, tu danses et tu chantes en même temps. As-tu des modèles de performeuse?

CP : non, justement, j’essaye de ne pas y penser. Je me mets à la place du spectateur et j’essaye de produire un show que moi-même je rêverais de voir. mais la plupart du temps, je pense aux paroles. Je mets mon corps à leur service !

Et d’où vient cette chorégraphie dans la vidéo d’Amanaemonesia ?

CP : C’est complètement abstrait. Tout le monde me disait : « Mais tu es sûre de vouloir faire une vidéo aussi cheap ? Ça n’a aucun sens ! » (rires) ma principale influence pour cette vidéo, c’est la chaîne PBs, une station de la fin des 80’s que je regardais quand j’étais jeune et qui diffusait de vieux programmes de gym avec des vieilles dames (rires). Impossible de les retrouver sur youtube ! Je me suis juste fiée à ma mémoire pour Amanaemonesia. Je voulais faire un clip à l’opposé de Lady Gaga : pas de décor, pas d’accessoires, quelque chose de plus minimaliste. La danse est assez freaky !

En tant que jeunes new-yorkais, que pensez-vous des manifestations dans votre ville ?

CP : C’est une bonne chose, même si à mon sens, ce ras-le-bol ne prend pas les problèmes un par un, notamment pour les jeunes et les artistes américains. honnêtement, je trouve que cette révolte n’est pas assez ciblée.

Vous vous intéressez à la mode ?

PW : oui, nous avons pas mal d’amis stylistes à Brooklyn. Ma fiancée fabrique des bijoux. Elle a toujours été intéressée par le travail sur le métal. Donc, on côtoie beaucoup de gens de ce milieu-là.

Vous avez d’autres projets à côté de Chairlift ?

PW : Je n’ai pas d’autres groupes mais j’ai produit le dernier album de Das racist. Je l’ai enregistré dans notre salle de répétition. J’aimerais bien produire plus, mais cette année, je n’aurais pas le temps.

CP : Je pense qu’on va sortir un nouvel album de Chairlift. J’ai fait déjà pas mal de collaborations, mais je suis trop « control freak » pour ça ! Je ne supporte pas que l’on me dise quoi faire artistiquement parlant. Et on me donne toujours le rôle de la fille à la voix sexy et sensuelle. C’est plutôt agaçant à la fin !

Chronique

Alors que leur premier album Does You Inspire You était passé un tant soit peu inaperçu malgré l’imparable single Bruises, le nouvel opus de Chairlift pourrait bien les porter à la tête de la pop arty new-yorkaise. Dès les premières notes de Sidewalk Safari, le ton est donné : superbement dansant sans perdre un côté gentiment barré, Something oscille entre le lyrisme 80’s et l’électro-pop indie. Rappelant parfois Kate Bush (l’excellent Ghost Night) ou encore la pop lo-fi chère à John Maus (Take It Out On Me), Chairlift démontre aussi un sens de la pop accru qui leur permet de signer de très bons singles (Amanaemonesia) et des ballades noyées dans l’éther (Cool As A Fire). Frigid Spring lorgne du coté du folk psyché et rappelle les premiers productions organiques de Air alors que Met Before s’attaque à un shoegaze 90’s.Indubitablement, Something est le grand disque pop de ce début d’année.

Chairlift, Something (Columbia/Sony) Chairlift en tournée :
Le 28 février à la Laiterie, Strasbourg Le 29 février à la Maroquinerie, Paris Le 2 mars à l’Ubu, Rennes

www.chairlifted.com

Propos recueillis par Guillaume Cohonner
Photo : Peter Stanglmayr
Réalisation : John Tan