A l’instar de Björk en son temps, la flamboyante Florence Welch est l’une des artistes les plus énigmatiques de ces dernières années. Son nouvel album Ceremonials, bien au-delà du panel de la pop internationale, confirme tout le bien qu’on pense d’elle.

Que s’est-il passé pour toi depuis la sortie de ton premier album Lungs ? Quelle perspective as-tu de ton étonnant succès ?

Mon dieu, tellement de choses que ça en est étourdis- sant ! Aujourd’hui, je me sens surtout fatiguée (rires) ! En fait, je ne me suis jamais vraiment arrêtée depuis que tout a commencé. C’est comme un tourbillon sans fin, à chaque fois que je pense que cela va se calmer, on repart de plus belle ! Quand je devais me poser quelques mois avec le groupe, ça a commencé à démarrer aux Etats-Unis, et lorsque j’écrivais pour le second album j’étais encore en tournée là-bas. deux semaines en tournée puis deux semaines de retour ici à Londres et lorsque je suis vraiment revenue, nous sommes presque rentrés en studio directement ! Je n’ai donc pas eu le temps de réfléchir et me pencher sur la question !

Avais-tu une idée précise de la direction que tu voulais prendre pour ce nouvel album ?

C’est assez drôle car je pense que oui. Il y a deux ans, un journaliste m’a interviewée alors qu’on était en route pour un concert, un peu éméchés. Il m’a demandé comment je voulais que le prochain album sonne et je lui avais répondu : je veux un son massif avec un gros sub-bass, une batterie électronique, avec des refrains énormes qui disparaissent dans le loin- tain et reviennent au plus haut… C’est ça que j’avais répondu à l’époque ? Car c’est exactement mon nouvel album ! Mais je ne pense pas que j’étais aussi décidé lorsqu’on a débarqué en studio. On a plutôt fait des essais jusqu’à atteindre un équilibre qui nous plaît. C’était certainement plus ou moins inconscient. Ce qui était surtout important pour moi, c’était de trouver une certaine unité : enregistrer dans un seul endroit avec un seul producteur.

On dit souvent qu’il faut presque une vie pour faire un premier album et seulement quelques mois ou quelques semaines pour réaliser le second. Qu’en penses-tu ?

En fait cela prend quelques mois ou presque une année dans ce cas précis. Mais pour ma part, je n’écris pas tout le temps même si j’ai un petit cahier que j’emmène partout avec moi. J’ai besoin de me concentrer. En fait, je dessine beaucoup (Elle a dessiné le tableau qui est juste derrière elle dans ce salon du Gore Hotel en bordure d’Hyde Park, N.d.L.R.). J’aime les papiers quadrillés, cela me réconforte. Je trouve parfois de très jolis carnets mais je n’ose pas les griffonner ! J’aime aussi écrire sur de grandes feuilles de papier donc en fin de journée, en studio, le sol est recouvert de ces feuilles ! Parfois je me prends pour une sorte de Jeanne d’Arc : j’entends dans ma tête les arrangements de harpes ou la rythmique et je griffonne alors pour tout traduire sur papier !

Quand on regarde les titres de tes morceaux cela semble un peu triste…

Je dirais plutôt mélancolique et introspectif. Ma musique est animée par mes émotions, tantôt enjouées, énervées ou plus calme… Elle est le reflet de mon tempérament changeant.

Quand à ton évolution musicale, qu’en dirais-tu ?

Je pense que j’ai poussé les choses à leur maximum, je ne pense pas vraiment aller plus loin dans le son, plus fort, plus luxuriant. dans cet album on voulait avoir un gros son, dense… Je pense que pour le prochain, je vais devoir explorer d’autres directions.

[ Et Florence de me demander : et quel est ton morceau préféré dans l’album ? Je réponds tout de go : définitivement Spectrum avec ce refrain irrésistible : « say my name, say my name », terriblement entêtant ! Elle reprend la parole. ]

Quand j’ai écrit ce morceau, je m’imaginais sur le bar d’un club dansant et chantant avec des banderoles autour de moi ! J’aime beaucoup ce titre moi aussi !

Quand on te compare à des artistes aussi iconiques que Kate Bush ou Tori Amos, quelle est ta réaction ?

Elles ont tellement marqué l’histoire de la musique contemporaine que c’est difficile pour moi de m’inscrire dans cette lignée. Je ne sais pas si j’en suis là. Mais c’est vraiment flatteur ! Il faut encore du temps, je crois…

Dès le début, une de tes marques de fabrique a été d’inclure un instrument peu habituel, la harpe, dans ta musique. Comment est-ce arrivé ?

Cet instrument est tellement magnifique, autant musicalement que l’objet lui- même. C’est si gracieux ! J’adore le coté angélique, baroque et romantique de la harpe. ça correspond bien à mon univers. La première fois que nous sommes allés en studio pour notre premier album, on a rencontré Tom Monger par hasard : il avait quelque chose d’imposant caché par une draperie et on lui a demandé ce qu’il dissimulait. C’était une harpe ! On lui a proposé de jouer avec nous sur les démos et au final il a participé à tout le disque et est devenu membre du groupe à part entière. La harpe, c’est effectivement notre signature, mais par accident ! Le hasard fait parfois bien les choses.

Envisages-tu les mêmes sujets sur ce nouvel album que sur le premier ?

Je pense que quoi qu’on fasse, on retombe toujours sur les mêmes thèmes qui vous tiennent à cœur et vous inspirent. Le premier était assez désespéré selon moi. désespéré pour quelqu’un. Et pour celui-ci.

Ta voix est très particulière mais tu ajoutes quelque chose de plus que sa simple tessiture…

Outre le timbre, je pense qu’on peut ajouter beaucoup en jouant avec sa voix comme un acteur ou un comédien, en mettant de l’emphase ici ou là par exemple. Quand j’ai commencé à chanter Dog days are over, je ne savais pas trop ce que cela voulait dire, ce que je voulais exprimer, et mon interprétation a révélé quelque chose de manière presque inconsciente. Je crois que c’est quelque chose d’instinctif chez moi de jouer avec ma voix afin de tourner une chanson vers telle ou telle émotion. C’est tellement plus puissant. Et cela recèle une sorte de poésie nouvelle.

En prélude à ce nouvel album, tu as révélé un titre magnifique et plein d’emphase : What the water gave me. Peux-tu nous en dire plus ?

Oui, c’était pour donner une idée plus précise de la manière dont l’album allait sonner. C’est une chanson que j’ai écrite alors que je lisais un livre sur des artistes surréalistes et il y avait cette peinture de Frida Kahlo qui portait ce titre où l’on voit cette femme qui prend un bain avec tous ces éléments évocateurs qui s’y trouvent. La toile reprend beaucoup d’éléments représentatifs de son travail. Il y a la douleur, la sexualité, la mort… Elle porte un regard sur sa vie comme si elle n’était plus de ce monde. On dirait qu’elle vit un cauchemar alors qu’elle prend tout simplement son bain. Frida Kahlo disait qu’elle ne peignait jamais ses rêves mais la réalité. Ensuite, j’ai imaginé des images de Virginia Woolf marchant dans l’eau avec des pierres dans ses poches. Partant de là, je ne me suis pas trop posé de questions mais l’inspiration m’est venue avec ces éléments. C’est comme un collage, comme si cette chanson s’était imposée à moi ! La suite est un peu magique, je ne peux pas trop l’expliquer.

Beaucoup d’artistes ont recours aux collaborations, mais l’équipe de ton premier album semble à nouveau réunie ici…

Tout à fait, j’aime rester avec les gens avec lesquels je me sens à l’aise. Je ne me voyais vraiment pas faire appel à un super producteur qui travaille avec toutes les popstars ou des musiciens aussi excellents soient-ils. Nous avons vécu beaucoup de choses ensemble depuis le début de cette aventure et je voulais continuer avec eux. Et cette fois-ci, je n’ai travaillé qu’avec un producteur (Paul Epsworth, qui a aussi travaillé avec Adele, N.d.L.R.) pour une meilleure homogénéité. Sur le premier album, il y en avait quatre !

Tu as énormément tourné depuis la sortie de Lungs, n’es-tu pas fatiguée de faire de la scène ?

Pas du tout et je dirais même que la scène m’a inspirée aussi pour ce nouvel album. Pour chaque titre, je me demandais comment cela pouvait sonner lors d’une performance live, par exemple pour un festival. On a même répété comme pour un live avant d’entrer en studio pour l’enregistrement. Cela aide beaucoup. Au début, j’agissais vraiment comme une artiste solo et même si je signe tous les titres, on est tous beaucoup plus impliqués en tant que groupe dans ce projet. Cela me permet aussi de mettre plus l’accent sur la musique et avoir du recul par rapport aux titres.

Quand est-ce que tu sais que ton album est terminé ?

Ca, c’est un vrai problème car je ne le sais pas ! (rires) Il faut qu’on me le dise, sinon je trouve toujours des choses à ajouter ou à changer. Ce serait un peu un album sans fin ! sur le premier album, c’était les premiers titres que j’écrivais vraiment mais pour cet album, j’ai beaucoup écrit : au moins 25 chansons pour n’en garder que 13 au final. Je n’ai aucun regret sur ce disque hormis quelques inquiétudes, car pour chaque titre, on a réalisé tellement de versions qu’un petit doute subsiste pour certaines d’entre elles. Mais je dois dire que je suis plutôt heureuse de cet album ! Et avoir une certaine perspective sur mon premier album m’a aussi aidé à ne pas reproduire avec celui-ci ce que je considère comme des erreurs.

Tu es donc déjà fin prête à te produire sur scène pour défendre ce nouvel album ?

Hum… Je ne dirais pas ça, on doit encore répéter un peu, je pense (rires) !

Tu as connu un gros succès avec des chansons originales comme Kiss With A Fist, Dog Days are over ou Rabbit Heart mais aussi avec cette reprise du You Got The Love de Candi Staton. Cela t’a-t-il surprise ?

Oui totalement ! Par contre, je n’ai pas envie de refaire de reprise pour l’instant, j’ai envie de revenir avec mes propres chansons. Je ne dis pas que je ne le referai pas dans le futur, cela dit, mais pas maintenant !

Tes morceaux ont aussi connu de gros succès en club avec des versions remixées. Qu’en penses-tu ?

J’adore cela ! Pour commencer, c’est intéressant d’entendre des nouvelles versions de ses propres morceaux et puis j’aime beaucoup danser alors rien ne peut me faire plus plaisir qu’entendre des dJs jouer mes titres en club, même dans des versions remixées : il s’agit toujours de ma voix, de mes mots, de mes chansons.

Quel serait ton prochain challenge ?

Je pense que cela sera définitivement la prochaine tournée. Je veux monter nos performances live d’un cran ! Je voudrais que la scène et les lumières soient tout simplement merveilleuses : on réfléchit à des formes qui rappellent le style art déco de la pochette, avec des verres colorés et des jeux de transparence par exemple.

Si tu devais donner une citation qui définit ta conduite ?

Disons que j’aimerais que ce soit : « suis ton instinct ». C’est quelque chose que je ne fais pas assez. J’écoute souvent les gens qui sont censés savoir mieux que moi et en fait ce n’est pas forcément toujours le cas. J’ai connu quelques déconvenues à ce sujet dans le passé.

Chronique

Le nouvel album de Florence Welch et ses machines pose ses bases sur les mêmes fondations que son prédécesseur Lungs : un savant mélange de pop, d’instruments et d’électronique. Cependant, alors qu’il capitalise sur la voix soul blanche de Florence et ses désormais fameuses inflexions, il évite les écueils du premier enregistrement et consolide l’édifice. Cette fois, la musique fait jeu égal avec la voix de Miss Welch, la production signée Paul Epsworth est ciselée quoique dense et luxuriante. Ceremonials devrait sans nul doute asseoir définitivement la reine Florence sur son trône : icône pop aux cheveux de feu mais aussi égérie mode. Sa collaboration cet été avec Gucci ou ses photos avec Karl Lagerfeld en sont la preuve. Hooray !

Florence + the Machine, Ceremonials (AZ/Universal) www.florenceandthemachine.net

Propos recueillis par Joss Danjean
Photos Greta Ilieva
Réalisation Flora Zoutu