Matière sexuée par excellence, l’étoffe caoutchouteuse fascine comme elle crisse, obsède comme elle emprisonne. Du pneu au BDSM en passant par la haute couture, le latex se décomplexerait-il au point de devenir l’icône substantielle du nouveau siècle ?

Une soirée anonyme dans une cave d’obédience gothique au rabais, les parures sentent un peu le pneu brûlé. Dans une alcôve, tripotant un bout d’étoffe caoutchouteuse oubliée sur un siège, un homme visiblement en émoi souffle par les naseaux de manière bovine. (Je m’enfuis.) Mais d’où vient donc cette dimension sexuelle qui a fait du latex l’objet de fascination de tant de fétichistes modernes ? D’apparence, cette sève épaisse et séminale extraite de l’écorce d’hévéa devient en se solidifiant une matière extensible à outrance, collante et organique, évoquant les propriétés d’une seconde peau tiède. Utilisé dès les années 1960 dans la confection, de même que ses dérivés – le lycra ou l’élasthanne – le latex est, par-dessus tout, loué pour sa capacité à épouser les courbes, à s’étirer et, d’une certaine manière, à « coller » à la peau. Est-il bien nécessaire de préciser qu’en outre il est la clé de l’élaboration de la nouvelle mascotte de notre ère, comprendre le préservatif ? Élevé au rang de maître dans l’esthétique fétichiste, dont les adeptes se baptisent rubberists, le latex s’utilise laqué dans la fabrication de costumes et combinaisons (inutile d’être exhaustif) dont l’intérêt majeur semble être la sensation de compression et d’« étouffement » relative à son port. Brillant, moulant, il masque tout en dévoilant le corps et procure au toucher une sensation étrange, celle d’un épiderme synthétique comme tout entier dévoué au stupre. Il est à la domina fin de siècle ce qu’était la fourrure à la vénus du précédent.

Amateurs de jeux caoutchouteux par excellence, nos amis nippons ont récemment vu naître un tout nouveau concept évolutif : les zentaïs enferment leur corps dans des combinaisons ultra-moulantes de la tête aux pieds, ne dévoilant plus que des formes anatomiques exacerbées tandis que toute identité disparaît. L’utilisation des organes sexuels rendue impossible, le plaisir passe uniquement par la matière et les sensations qu’elle procure, pour celui qui l’arbore comme pour celui qui la palpe… Ici, cependant, on préfèrera l’élasthanne, plus aisé pour respirer. Cloître du corps et des sens et moules de plastique, de vrais phénomènes de société qui s’exportent de plus en plus fréquemment chez nous, via des manifestations comme la Torture Garden et autre Tokyo Decadence.

Sexy, le latex, tellement sexy qu’il s’insinue par les pores de notre esthétique quotidienne et s’incorpore naturellement à la mode. Dès 1974, c’est chez SEx, magasin tenu par Malcolm McLaren et Vivienne Westwood, que l’esthétique bondage rejoint la culture punk à travers ses pièces en latex et sa décoration du même plastique. Il faudra pourtant patienter deux décennies avant de voir le latex s’imposer dans la haute-couture. Pionnier du genre, c’est Jean-Paul Gaul- tier, maître de la provoc’ sur catwalk, qui le fait entrer dans l’univers de la mode et du luxe dans les années 1990. Après avoir signé l’exosquelette caoutchouteux de Milla Jovovich dans Le Cinquième Élément, Gaultier enfonce les codes de la haute couture et du bondage en faisant défiler sur les podiums des créations mêlant combis en latex, liens, piercings et tops tatoués. Autre icône sexy du genre, Michelle Pfeiffer, en Catwoman de vinyle dans le Batman de Tim Burton, affiche les codes de la dominatrice au grand public comme au grand jour. Démocratisé, le latex ? Aujourd’hui, ce sont les popstars qui s’en approprient, provocation facile, l’esthétique sulfureuse. Ainsi voit-on Katy Perry minauder façon chatte lascive dans une catsuit tachetée pour son dernier parfum, ou se marier en robe de plastique élastomère. Dans le même registre de bon goût, Lady Gaga en fait le fer de lance de ses déguisements, tandis que toute l’esthétique SM se voit finalement banalisée, à travers la mode des corsets et autres dentelles, du burlesque et autres cabarets, des dernières collections de sous-vêtements American Apparel et autres pornographies.

Loin s’en faut pourtant pour que le latex et la sexualité latente qu’il véhicule s’évanouissent à l’ère moderne. Empreint d’un attrait et d’une subversion aussi inexplicables qu’inextricables, il continue de fasciner et d’exciter, qu’importe que ses clichés se soient fondus dans la culture de masse. Un frottement, un bruit, une texture et un aspect futuriste certain qui, s’il s’affiche à présent sans complexe, l’élèvent sans doute plus que jamais au rang de putain d’enfant du siècle.

Par Ottavia Pellemoine