Chaque album de Massive Attack est un événement et Heligoland ne déroge pas à la règle. Désormais réduite aux deux membres 3D et Daddy G, la bande de Bristol devenue culte signe cette année un cinquième opus bardé d’invités, du fidèle Horace Andy à l’omniprésent Damon Albarn. Sept ans après le sombre 100th Window, rencontre avec un 3D apaisé et même jovial…

Tu avais déjà une idée précise de ce que tu voulais en commençant cet album ?

On a opéré de manière assez empirique. À plusieurs reprises, on a pensé tenir la version finale de l’album et pourtant on s’est à chaque fois remis au travail. Les sept premiers mois d’enregistrement se sont déroulés dans le studio de Damon Albarn [Blur, Gorillaz, ndlr] et dans celui de Dave Sitek de TV On The Radio. Puis on a retravaillé tout ça dans notre studio de Glasgow qu’on a depuis démantelé. Il nous avait servi pour enregistrer plusieurs bandes originales de film, mais on va le remonter plus tard je pense…

Pourquoi ce titre d’Heligoland ?

Hormis la référence évidente à cette île de la mer du Nord près des îles Frisian et son histoire étrange [successivement danoise, britannique puis allemande], c’est un nom génial car il sonne comme un anagramme, comme un nom créé de toute pièce. Il va de pair avec le design de la pochette qui s’articule comme un anagramme visuel qui joue sur les identités culturelles.

Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec des invités que vous connaissez bien ?

En fait Horace Andy est le seul qui a continué à collaborer régulièrement avec Massive Attack. Pour Damon Albarn par exemple, c’est la première fois à proprement parler qu’il figure sur l’un de nos disques, même si on se connaît bien maintenant. On voulait retrouver un peu l’ambiance du Blue Lines de nos débuts, comme pour boucler la boucle… Voilà pourquoi on a embarqué avec nous Martina Topley-Bird, Guy Garvey, Hope Sandoval… On redevient un projet collectif avec des intervenants sur chaque titre… Cela apporte une nouvelle énergie. On a travaillé de manière différente avec chacun d’entre eux. Pour « Psyche », on a donné l’instrumental à Martina et elle a disparu avec avant de revenir avec ce morceau étonnant. Pour « Girl I Love You », on a travaillé de concert avec Horace sur une version de départ, puis ajouté davantage de vocaux et changé des instrumentations en cours de route. Quant à Guy Garvey, il est venu au studio, on a bu du vin, je lui ai donné mes paroles qu’il a écartées pour préférer les siennes [rires]. Ça se passe toujours diffé- remment. Sur nos précédents disques, je me souviens que ce fut assez simple avec « Protection » : Tracey [Thorn] a juste posé sa voix sur l’instrumental ; alors que sur « Unfinished Sympathy » [chanté par Shara Nelson], on a retravaillé le morceau encore et encore pour lui donner sa forme actuelle qui est très différente de la démo de départ…

Sur ce disque, tu as volontairement conservé un équilibre entre arrangements minimalistes et orchestrations emphatiques ?

Oui, tout à fait. Les uns mettent les autres en relief, ce qui donne une certaine perspective à l’ensemble. Pour le précédent disque, même ce qui était minimal était édité – ce qui apportait une forte densité à la musique. Cette fois-ci on a opté pour ce balancement afin de rendre l’album plus aéré. On a voulu se diriger vers une sorte de pureté sonore, on a même limité les effets sur les voix pour aller vers plus de simplicité et de chaleur. C’est certainement aussi venu en réaction aux procédés que j’utilisais sur les B.O. que j’ai composées et où j’utilisais beaucoup d’effets et de reverb.

Le point commun avec Blue Lines, c’est le côté ouvertement pop…

Oui. Dans sa conception, notre premier album était constitué de samples alors qu’aujourd’hui tout est joué avec de vrais instruments. Si la direction est similaire, je pense, le moyen d’y parvenir est en revanche différent. On a toujours essayé de ne jamais faire deux fois la même chose. Même si les artistes qui ont collaboré avec nous sur Heligoland viennent d’univers très variés, on a vraiment senti qu’on tenait un album cohérent avec un son et une démarche communs.

Tu es un sorcier du son, mais quand comprends-tu que tu tiens la version finale d’un morceau ?

Oui, c’est vrai que j’ai une fâcheuse tendance à retravailler les titres encore et encore, donc on me donne des limites avec lesquelles je dois composer. Les tournées, par exemple, nous obligent à suivre un planning précis, sinon cela ne fonctionne pas.

Et côté live ?

On a fait une tournée avant l’album qui a vraiment bien marché. Depuis quelques semaines, on commence à répéter dans les studios de Peter Gabriel à Bath avant d’entamer une autre tournée avec un show visuel résolument différent. On y intégrera, bien sûr, les nouveaux morceaux que l’on jouera pour la première fois. On est déjà très excités à cette idée car ils n’étaient pas encore prêts lors de la dernière tournée de 2009. Cette fois, on peut enfin les jouer. On a songé aussi à intégrer d’autres éléments comme des citations de grands auteurs, des réflexions quant à l’économie de la planète, la pollution, les rapports entre les hommes, les différences culturelles…

Massive Attack,
Heligoland (EMI)
www.massiveattack.com

Propos recueillis par Joss Danjean
Photo : Warren du Preez et Nick Thornton Jones