C’est dans son appartement proche de la place de la Nation que j’ai rencontré Bernard Fèvre, alias Black Devil Disco Club, qui revient fort dans l’actualité avec une réédition d’album, Orbit Ceremony 77, et une date à la Maroquinerie le 17 décembre.

C’est Aphex Twin qui en 2004 avait remis le diable noir sur les rails en dénichant et adorant un de ses vieux vinyles, il aura suffi ensuite de la réédition en 2015 des 3 premiers albums du français par Alter K pour que le mythe devienne légende, et qu’au fur et à mesure des concerts donnés par Bernard Fèvre, la légende devienne réalité : Black Devil Disco Club avait des années d’avance sur tout le monde et, triste sort pour lui, aura dû attendre des décennies avant d’être reconnu à sa juste valeur : celle de père du space disco.

 

Père, il l’est aussi d’un garçon : je ne sais pas s’il est aussi fier aujourd’hui qu’au début, mais il a été très fier et impressionné quand les journalistes anglais, de Dazed, sont venus à la maison en 2004. Il s’est certainement dit – Waoow, papa existe – mais ils ne lui ont pas posé de questions, trop occupés à faire leur truc et à descendre les quatre bouteilles de vin qu’on a bu dans l’après-midi ! Les anglais sont étrangement toujours contents de venir en France. Je crois qu’ils avaient fait trois ou quatre pages que j’avais lu en travers à cause de la faible maîtrise de l’anglais de ma génération.

Bernard passe du coq à l’âne et évoque ses voyages au Japon, le bonheur d’essayer de converser avec les japonais qui sont aussi nuls que lui en anglais, une communication qu’il adore car l’hypocrisie est rarement de mise et une grande place est faite à la gestuelle, j’adore quand les gens bougent, je trouve que c’est une expression infiniment plus chaleureuse que la parole, c’est pour ça que j’aime voir les gens danser devant moi en concert ! j’avais lu une interview où il regrettait d’ailleurs le rapport à la danse des jeunes qui laissent peu à peu s’envoler l’esprit même du fait de danser. Lors de mon service militaire en Allemagne je trouvais que les allemands dansaient de manière assez lourde, et c’est finalement à mon retour en France que j’ai vu la tendance s’inverser au fil du temps. Mon nom de scène vient d’ailleurs de mon admiration pour la faculté des blacks à danser, car il n’y a qu’eux qui pouvait nous apprendre à le faire convenablement, avec le diable au corps. D’où le Devil ! ma musique aussi était considérée comme celle du diable à l’époque. Jean Michel Jarre s’est longtemps fait jeter tout comme moi. C’est dommage, la danse comme la musique doivent être un jeu et l’industrie à l’époque était beaucoup trop sérieuse. Pour finir, je suis content de m’apercevoir que Disco Club, qui n’était absolument pas compris à l’époque, était en fait le choix le plus avant-gardiste que j’ai pu faire. Tout est club aujourd’hui n’est-ce pas?

 

Les clubs, Bernard en a fait le tour désormais, du Panorama Bar de Berlin au festival Primavera, en passant par le Japon, l’Amerique Latine ou la Belgique, il fait salle comble devant des gamins du tiers de son âge. Comme une revanche dont il ne se sent absolument pas responsable. Ça ne change rien pour moi d’être une légende (le nom qui revient le plus accolé au sien, ndlr), je veux dire que ça ne change pas ma manière de vivre ou de me comporter. J’ai vu dernièrement un reportage sur les années beatnick et je disais à mon fils que j’étais un véritable hippie, je suis resté marginal tout le temps sans jamais rentré dans une combine, même la leur.

N’allez pas croire que l’homme est du genre aigri à vouloir rester cloîtré dans son univers, j’en veux pour preuve son prochain album (que j’ai pu écouter en avant-première lors de cette interview), dans lequel il a décidé de se mettre en danger. J’ai voulu faire quelque chose de plus pop, tout en restant Black Devil

Stupeur des stupeurs à l’entente du mot pop. Il s’explique : Un jour je cherchais des photos et des images sur le diable, et je tombe sur Lucifer, qui est aussi le nom d’une fleur qui pousse fin août, début septembre. Alors quand j’ai vu que le diable pouvait être une fleur j’ai voulu m’en libérer, en le rendant amoureux, plaisantin et spatial, et je pense sur cet album l’avoir fait danser sur d’autres cadences, j’espère qu’il y prendra plaisir. Ce disque est la rencontre de Junior Claristidge (son premier alias, ndlr) et Bernard Fèvre, et est définitivement le son qui est le mien.

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Bernard parle de cet album comme un enfant émerveillé à Noël et on peut sentir toute la passion qui émane de l’adulte, qui prétend pourtant à qui veut l’entendre qu’il est encore un enfant. Enfant qui n’a jamais grandi ou adulte qui veut rattraper le temps ?

Je n’arrive pas à voir que je vieillis. Je reste un enfant parce que j’ai toujours été très déçu par les adultes, pas les adultes véritablement mais les gens qui pensent normalement plutôt. J’ai fait la révolution parce qu’on avait marre de ces gens-là. Par malheur on y est finalement revenu, on est plus proches des années 50 aujourd’hui que des années 70-80. On est entouré de pitres.

C’est aussi l’avantage d’être d’une autre génération, appréhender l’évolution des modes et des habitudes d’un système en incessante fluctuation. Bernard Fèvre a vu les révolutions d’une industrie qui finit toujours pas regarder en arrière, sa subite célébrité auprès des jeunes en atteste indéniablement. Bernard Fèvre a par exemple vu Bob Marley avant tout le monde, et a refusé d’y retourner quand tout le monde voulait voir Bob Marley. Bernard Fèvre enfin, sans se compromettre, a attendu son heure, et le public, son public, lui offre une ferveur à la mesure du temps qu’il aura fallu pour que Black Devil explose.

Orbit Ceremony 77, conçu en 1977, est un bijou de space disco qui a surement du hérisser quelques perruques à l’époque, mais qui aujourd’hui hérisserait quelque échine sur un dancefloor. Bernard, depuis toujours, jette un pont entre les époques, les traverse et s’en inspire. A man from outta space, résolument.

 

En attendant la sortie de son prochain album, vous pouvez vous procurer Orbit Ceremony 77, ou vous pouvez aller voir le maître à l’oeuvre ce samedi 17 décembre, à la Maroquinerie.